Habillé chics, nous sommes aujourd’hui embauchés par le Ministère de la Sécurité Globale pour récompenser nos citoyens de notre Infrance-qui-se-tient-sage.
Nous distribuons des attestations d’attestations au contenu à rédiger avec le citoyen, des tickets de spectacle pour septembre 2021, des tickets pour visiter de la préfecture, haut lieux de culture ou des tickets dérogatoires de couvre feu.
C’est sur que si on présente un tel ticket du ministère aux fdo si on se fait choper dehors en plein couvre-feu, et ben, que même si on est en guerre, ils nous laissent passer, n’est-il pas ?
Nous cheminons vers la ville, notre jeu fonctionne bien avec les gens, d’ailleurs, une jeune femme qui nous suit depuis un moment nous demande si on elle peut rester avec nous. Elle nous suivra plus d’une demi-heure jusqu’à la fameuse Caserne de Bonne, ze centre commercial écolo-chicos de Grenoble, celui du Directeur qui a du jus d’orange (voir épisode précédent)
C’est le passage obligé.
Nous faisons trois pas dans la partie extérieure appartenant à la caserne et un vigile nous accoste nous disant qu’il est interdit de distribuer des tract dans l’enceinte de la caserne. Nous l’ignorons et continuons à avancer, à discuter avec les civils, à distribuer comme s’il n’était pas là. Nous jouons bruyamment avec des gamins, courons, dansons, déclamons.
Nous faisons sensation.
D’autres vigiles arrivent et s’installent, bras croisés, devant les portes automatiques de la partie couverte du centre commerciale, nous indiquant clairement par là qu’ils ne nous laisserons pas entrer.
Nous nous regroupons et faisons le tour de cette partie couverte, en faisant de grands coucou aux vigiles qui nous suivent de l’intérieur pour surveiller les entrées latérales, plus petites.
Arrivé du côté opposé, au niveau de l’autre grande entrée, ils sont
maintenant plus de 4 à se tenir en rang devant les portes automatiques.
Le ministère de la Sécurité Globale n’aurait-il pas le droit d’entrer ? Devons nous montrer patte blanche ?
Je m’avance et arrive à me faufiler entre les vigiles pour entrer dans la galerie.
Les autres n’ont pas réussi à entrer, dommage mais je sais qu’ils sont là en soutien.
J’accélère et fait du patin à glace sur le sol lisse, « je suis libre, je suis libre ». Les vigiles me suivent en tentant de garder une certaine consistance, pas facile quand on poursuit un hurluberlu en pantalon et nez rouge. Ils s’approchent, j’entre dans une enseigne car je sais que je quitte alors leur juridiction, pour entrer dans celle des vigiles du magasin. Bon, je ne fais que quelques pas avant d’être arrêté par un gros vigile bien costaud, mais très sympa. Il y a du public aux caisses ! Je scande en impro, tente de prendre un livre « Nous allons lire, lire de la culture, attention… ». Le vigile reste courtois, assez désolé mais ferme et me fait reposer le livre. Les vigiles de la caserne sont quand même entrés, je ne peux aller plus avant dans le magasin, je me dirige alors vers la sortie toujours en impro.
De retour dans la galerie, quelques personnes se sont attroupées, hop, point technique, je pars, en tragédie plein d’emphase, avec quelques poses-regards de temps en temps.
« ââââh, je me meure … etc … Mââââcrion qu’a tu fais de nôôôûûûsss
… etc … Jupiter emporte moâââ… » etc etc le n’importe quoi qui me
passe par la tête à ce moment là.
Je ne me rend pas bien compte des réactions du publique, mais j’arrive à choper le regard d’un collègue resté dehors pour me ressourcer mentalement… ils sont toujours là, ouf ! C’est la fin, le spectacle mort, je m’écroule.
Petite pause avant que quelques vigiles ne me soulèvent et me portent vers la sortie. Je me fais chiffon et les laisse faire pendant que mes collègues les conseillent sur la manière de me porter sans se faire mal, sans se salir, sans se gêner, sans perdre leur porte clef, qui justement est tombé derrière avec le bip de la galerie.
Ça faisais une chouette scène d’après les témoins 🙂 pour ma part je ne
rappelle pas, effet tunnel.
https://we.riseup.net/assets/703615/securiteglobale.mp4
Au dehors, attiré par le chahut, quelques manifestants revenant du rassemblement anti-loi-sécurité globale proche scandent « travaille,
consomme et ferme ta gueule ! » à répétition.
Les vigiles ferment le rideaux de l’entrée ouest.
Je prends cela comme un appel à continuer, et de toute façon, j’ai encore de l’énergie pour ma parade. Les autres discutent avec du public ou agissent un peu plus loin.
Je passe de l’autre côté, devant l’entrée du Monoprix, et campe en face d’un de ses vigiles à continuer à scander tout et n’importe quoi « attention bientôt le couvre feu, le virus est dans le train de Lyon, il arrive dans 1h30, rentrez vite chez vous », « est-ce que tout le monde a son ticket Mââcron, 135€ le ticket Macron ». Je n’entre pas dans le magasin, je reste devant les portes ouvertes où le vigile n’a pas droit d’action. Un quadra-chemisette petit chef arrive d’un pas décidé en me fixant, écarte le vigile, et me tend la main en me saluant.
Je lui répond
– oulala, c’est quoi ça, que… quoi… ?
Je suis décontenancé.
– je viens juste vous dire bonjour
– ah oui, euh… bonjour
– ah, c’est mieux, je vous disais juste bonjour, vous voyez, on peut se
saluer poliment et discuter.
Je sens que je suis près de tomber dans le piège… point technique, je
répète à la cantonade, à haute voix, tout ce que me dit le monsieur.
– LE MONSIEUR ME DIT BONJOUR POLIMENT
– bon, on va pouvoir discuter, cela ne sert à rien de crier comme ça
– LE MONSIEUR VEUT DISCUTER CAR IL EST INUTILE DE CRIER COMME ÇA
– vous gênez tout le magasin là
– CAR JE GÈNE TOUT LE MAGASIN LÀ
– ok, je vois que ça ne sert à rien
Le monsieur s’en va
– ET ÇA NE SERT à RIEN
La technique à fonctionné. Ça m’a bien aidé, et ça a bien fait rire. Le Monoprix ferme cette entrée. Je place un panneau publicitaire pliant devant et m’écarte. Le vigile me fixe mais ne sort pas ôter le panneau.
Je rejoins mes ami.e.s juste au delà de la limite de la caserne.
Ils discutent avec des gens émerveillés par notre présence et notre bazar; quelques jeunes, vieux, hommes, femmes. Une vieille dame reste encore un peu discuter avec nous.
Cela fait un moment que nous sommes là, nous sommes maintenant plutôt
seuls, il fait nuit, dans un endroit un peu à l’écart, j’ai peur que les fdo arrivent, il y a deux nouveaux et personne a envi d’être contrôlés, surtout pas dans un lieu sans public.
On a fait des cœurs au vigiles avant de partir, derrière les grilles.
Ils étaient sincères nos cœurs, ils avaient le regard triste les vigiles.
Nous avions convenu de rentrer avant le couvre feu, en gardant un peu de
temps pour se démaquiller et se changer. Nous continuons cependant des impros sur le trajet du retour.
N’oublie pas ton nez en sortant, tu pourrais prendre triste.
To be continued…