Nature&Progrès n°118 : Le choix de la non-violence

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Le choix de la non-violence

Qui n’a jamais eu envie, ne serait-ce qu’une fois au cours de sa vie, de céder à l’appel de la violence? Qui, face à de monstrueuses injustices, aux violences sociales, économiques ou étatiques n’a jamais ressenti le besoin de ne plus se laisser faire en choisissant la riposte? Qui, excédé, écœuré, voire blessé physiquement, n’a jamais senti cette colère, cette rage intérieure le gagner et lui faire envisager d’aller à l’affrontement? Face à un rapport de force complètement disproportionné, quand il n’y plus rien à perdre, l’énergie du désespoir peut pousser à la violence. Parce qu’il semble parfois ne rester plus que cette option. Cette violence est-elle légitime? Est-elle pour autant acceptable?


Les violences, quelles qu’elles soient, constituent une grave atteinte aux droits fondamentaux de chacun, à son intégrité physique et psychique. Il est donc primordial de trouver des réponses pour mener des luttes qui, aussi radicales qu’elles puissent être, pourront être menées de manière non-violente. Cela devrait pour chacun commencer par se réapproprier son pouvoir citoyen et s’intéresser activement à la chose publique. Écouter, réfléchir… interagir et œuvrer collectivement. La non-violence commence aussi dès lors que l’on s’autorise, l’espace d’un instant, à s’asseoir pour regarder la nature, à être attentif à la manière dont elle fonctionne et à accueillir tout ce qu’elle peut nous enseigner: comment la ronce se défend en usant de ses épines, comment une toute petite graine est capable avec d’autres de sortir de l’asphalte en faisant craqueler le bitume…

    Choisir le chemin de la non-violence n’est pas la voie la plus facile. Elle nécessite de l’écoute, de la discussion, de la réflexion, une bonne dose d’imagination et une réelle volonté collective. Certains considèrent aujourd’hui que les mouvements contestataires rencontrent de plus en plus de difficultés à se faire entendre par le biais d’actions « traditionnelles » (pétitions, manifestations, etc.) pour contrebalancer le rapport de force, car tout est fait pour étouffer et décrédibiliser leur action. Certains optent du coup pour des tactiques mixtes. De multiples causes ont néanmoins avancé grâce à des attitudes et des actions non-violentes (Marche du Sel en Inde, Mouvement pour les droits civiques aux États-Unis et bien d’autres encore). Nombreux sont ceux qui œuvrent dans cette direction au quotidien avec la farouche conviction qu’un autre monde ne peut se construire en cautionnant une violence qu’eux-mêmes condamnent.

Continuons à être créatifs, à inventer encore et toujours — même si, comme le prédisent certains, nous pourrions à l’avenir entrer dans l’ère du combat de l’homme augmenté contre l’humain résistant. Face à des opérations de démolitions en tout genre, à la violence d’État, à l’asservissement des peuples par le système financier et les puissants, trouver de nouvelles formes de luttes radicales non-violentes, concertées, fédératrices et efficaces va devenir plus que jamais un énorme défi à relever lors des prochaines décennies. Sinon, comment pourrons-nous faire l’économie de la violence?

Pascaline Pavard

Pendant que nous sommes parmi les hommes, pratiquons l’humanité.
SÉNÈQUE

La résolution non-violente des conflits, un défi pour le troisième millénaire


On sait l’urgence des solutions à trouver aux problèmes graves de notre planète:
misère et mal-développement, chômage et exclusion, destruction de l’environnement et des écosystèmes, guerres et conflits régionaux, idéologies de racisme, de xénophobie et de peur de Vautre…

La seule voie électorale semble bien dérisoire pour traiter ces divers problèmes. Entre l’immoralité (et l’inefficacité) du cocktail Molotov et l’insuffisance du bulletin de vote, il existe depuis Gandhi une forme d’action politique capable de réconcilier la morale et l’efficacité politique.

Étienne Godinot*

Commençons par clarifier les concepts. Aldo Capitini définissait la non-violence comme «une manière de faire qui procède d’une manière d’être». La non-violence est à la fois un mode de vie respectueux de l’homme et de la nature, et un mode d’action politique respectueux de l’adversaire.
La non-violence est à la fois une sagesse de vie, une philosophie, personnelle et politique. Cette attitude de refus de la violence vient donner sens, c’est-à-dire à la fois signification et direction, à la vie de chacun et à l’histoire collective des hommes. Il s’agit aussi d’une stratégie politique de combat contre l’injustice, l’oppression ou la violence.
Le conflit est l’opposition manifestée à l’autre dans ma relation avec lui. Pour que la personne puisse grandir, la division et le conflit sont indispensables. Les conflits, non seulement inévitables, toujours inconfortables mais bien souvent nécessaires, constituent la trame de l’histoire et de la vie des hommes.

Penser ensemble la lutte Pour assumer les conflits, il faut de la combativité, une déclinaison positive de l’agressivité — un terme qui est le plus souvent utilisé dans son sens pathologique de destructivité.

Une philosophie de la non-violence doit penser ensemble la lutte et le refus de la violence: la lutte, parce qu’elle est la condition même de la vie, et le refus de la violence, parce qu’elle porte atteinte à la vie.

Une force est une cause provoquant un effet ou un mouvement. La lutte non-violente a pour fonction de modifier le rapport de force, de «rééquilibrer les plateau< de la balance», afin d’établir des relations plus justes entre individus et groupes sociaux.

Seule la force organisée dans l’action appuyée sur le nombre peut être efficace pour combattre l’injustice et rétablir le droit. L’action non-violente exerce sur l’adversaire une pression ou une contrainte qui, à défaut de changer ses sentiments («son coeur»), l’obligent du moins à revoir ses positions et à modifier ses comportements. La force et la contrainte obligent l’adversaire à céder et à négocier. Elles ne doivent pas être confondues avec la violence qui le détruit ou le meurtrit.

La violence est toute action, parole ou omission de l’homme qui porte atteinte à la vie ou à la dignité d’autrui, qui viole la personne de l’autre, son corps, ses droits, son identité. Elle est tout ce qui détruit ou meurtrit l’autre, physiquement ou psychologiquement.

C’est d’abord la violence structurelle générée par les systèmes économiques, politiques ou culturels d’oppression ou d’injustice. Elle n’est pas seulement manifestée par les armes, les coups et les blessures. Elle est aussi dans la parole (injure, mensonge, médisance, menace, etc.), dans le silence, dans l’image, etc.

Il y a violence quand, dans une situation d’injustice, de maltraitante, d’incompréhension, la parole ne circule pas, quand elle se bloque chez un ou plusieurs acteurs:
— chez l’auteur de la violence: domination, fermeture, refus de constater les situations d’injustice et les conséquences de ses comportements;
— chez la victime: enfermement dans la plainte, soumission, incapacité à parler à l’auteur ou aux tiers, résignation ou haine;
— chez le tiers: omission de dire ce qu’il a vu (signalement), refus d’intervenir, non-assistance à personne en danger;
— ou quand la loi elle-même est injuste, car le manque de dialogue entre les acteurs ou dans la société n’a pas permis qu’elle puisse évoluer ou changer.

Pour combattre la violence, il faut donc réhabiliter le conflit. La violence est aussi une méthode d’action qui paraît parfois nécessaire, soit pour défendre l’ordre établi lorsqu’il garantit la liberté, soit pour combattre le désordre établi lorsqu’il maintient l’oppression.

De ce fait, la violence ne mérite pas seulement une condamnation, elle exige une alternative efficace dans l’action politique.

Face à la violence et à l’oppression, trois attitudes sont possibles: la lâcheté (la passivité, la résignation, le fatalisme, le silence, la collaboration, la soumission…) est l’attitude la plus fréquente. La violence: mieux vaut la violence que la lâcheté, mais mieux vaut la non-violence que la violence.
Enfin, le combat non-violent consiste à affronter la violence et l’oppression en utilisant des méthodes respectueuses de la vie, de l’intégrité et de l’honneur de l’adversaire, mais qui n’excluent pas le rapport de force et la contrainte.


La stratégie de l’action non-violente

La non-violence est un moyen au service d’une fin. En effet, une technique non-violente peut très bien être mise au service d’une finalité mauvaise. Qu’on pense au boycott des magasins juifs par les nazis, à la grève des camionneurs au Chili qui a fait chuter le régime démocratique de Salvador Allende, ou à la «Marche verte» des Marocains pour annexer le Sahara espagnol…

Le principe essentiel de la stratégie de l’action non-violente est le principe de non-coopération : la force des injustices dans une société vient de ce qu’elles bénéficient de la coopération de la majorité des membres de cette société (soumission, acceptation, silence, complicité, indifférence, résignation). La non-violence vient rompre cette coopération par exemple avec la marche du sel (Gandhi, 1930), le boycott des bus de Montgomery (M.-L. King, 1955) ou encore les marches des exclus en Inde (2007, 2012).

La non-violence utilise des moyens de persuasion (démarches, demandes, lettres ouvertes, pétitions…), des moyens de pression (marches, jeûnes, manifestations, renvoi de décorations, enchaînements, sit-in, usurpation civile…) et des moyens de contrainte (grèves, grèves de la faim, boycott, désobéissance civile).

La désobéissance civile est la transgression délibérée, publique et collective d’une loi ou d’un ordre dans le but d’exercer une pression sur le pouvoir politique ou le décideur, en vue d’améliorer le droit et la loi.

Au terme de la lutte pour la justice, les opprimés se retrouvent à la table de négociation, et, en fin de compte, ils devront, dans de nombreuses situations, cohabiter avec les anciens oppresseurs.
C’est là que le pardon est souvent nécessaire, non pas pour oublier le passé, mais pour avoir de nouveau un avenir.


Non-violence, sécurité et paix

La non-violence n’est pas le pacifisme ni l’antimilitarisme. Elle propose des alternatives de défense de la société et d’intervention entre des belligérants en conflit.

La défense civile non-violente vise à défendre la démocratie. C’est une politique de défense contre toute tentative de déstabilisation, de contrôle ou d’occupation de notre société, conjuguant, de manière préparée et organisée, des actions non-violentes collectives de non-coopération et de confrontation avec l’adversaire, en sorte que celui-ci soit mis dans l’incapacité d’atteindre les objectifs de son agression : l’influence idéologique, la domination politique, l’exploitation économique.

En d’autres termes, il s’agit de rendre la société « insaisissable » ou indigeste par un agresseur, inexploitable économiquement, incontrôlable politiquement, insoumise idéologiquement, et de dissuader l’agresseur de s’attaquer à cette société, car les coûts qu’il risquerait de subir seraient supérieurs aux gains qu’il pourrait espérer: c’est la dissuasion civile.

Celle-ci s’effectue avec cette défense sur deux fronts: le premier, institutionnel (État, constitution, pouvoir exécutif, législatif, justice, administrations, collectivités territoriales…) et le second, celui des forces vives de la société : partis et mouvements politiques, entreprises, syndicats de salariés et organisations professionnelles, mouvement associatif, Églises, etc.

L’intervention civile de paix est l’action non armée de forces extérieures, mandatées par une organisation intergouvernementale, gouvernementale ou non gouvernementale, qui s’engagent dans un conflit afin d’accomplir, sur les lieux mêmes de l’affrontement, des missions d’observation, d’information, d’interposition, de médiation.

Ces missions ont pour but de prévenir ou de faire cesser la violence, de veiller au respect des droits de l’homme et de créer les conditions d’une solution politique du conflit qui reconnaisse et garantisse les droits fondamentaux de chacune des parties en présence et leur permette de définir les règles d’une coexistence pacifique.

Il s’agit, dans un premier temps, de séparer les adversaires qui se battent, et, dans un deuxième temps, de les réunir pour qu’ils se parlent, puisque seuls les acteurs du conflit sont en mesure de lui apporter une solution durable.

Actualités…

En ce XXle siècle, plus d’un milliard d’êtres humains souffrent de la misère et 30% des ressources sont utilisées en plus de ce que la planète peut régénérer.

La moitié des habitants sont agriculteurs dont les trois quarts travaillent encore uniquement à la main. Leur permettre de vivre de leur travail est l’un des enjeux majeurs d’un développement durable, pour que la violence ne soit pas la seule alternative de millions de pauvres, affamés, spoliés, corvéables et déplacés vers les bidonvilles des grandes métropoles.

La terre, l’eau, les semences, les forêts, les minerais — biens communs de l’humanité — sont accaparés par les investisseurs avec l’assentiment des États, ou non — à cause de leur impuissance. Partout sur la planète, exploitations minières ou forestières, grands barrages, zones touristiques, monocultures hyper-intensives d’exportation à base d’OGM ou production d’agrocarburants remplacent les cultures vivrières.

Parallèlement, l’afflux sur les marchés des pays du Sud de denrées alimentaires produites dans les pays riches avec d’énormes moyens mécaniques et massivement subventionnées génère une concurrence déloyale qui ruine les paysanneries locales.

Le combat non-violent, déjà utilisé par les communautés rurales en Amérique centrale et latine, pourrait être un puissant moyen de redistribution des terres, afin que les sols soient attribués en droit à ceux qui les cultivent.

Organisée en Inde en 2012 par le mouvement Ekta Parishad, la marche non-violente pour la justice JanSatyagraha a rassemblé 50 000 pauvres, paysans sans terre, tribaux et Intouchables qui ont fait valoir leurs droits aux ressources vitales et à une vie dans la dignité.

La marche JaïJagat de Delhi à Genève en 2020(1) sera un «Forum social mondial en marche» destiné à mettre en lumière des questions fondamentales : partage des richesses, accès aux ressources naturelles, souveraineté alimentaire, dettes des pays pauvres, place des plus démunis dans nos sociétés, rôle des femmes, mais aussi démocratie participative, responsabilités des sociétés multinationales et du système financier, choix d’un modèle de vie et de développement durable et équitable pour tous.

Délégitimer la violence, limiter la contre-violence, promouvoir une culture de non-violence

Les idéologies dominantes honorent et glorifient la violence dès lors qu’elle se donne pour fin de défendre une cause juste. La violence devient alors la vertu de l’homme fort et courageux, de l’homme d’honneur qui prend le risque de mourir pour son idéal. Selon cette logique, la violence peut prendre un caractère sacré. Dès lors, la non-violence ne peut être que sacrilège.

Il importe d’affirmer que la non-violence est la vertu de l’homme fort, qui, pour ne pas être amené à tuer, prend le risque d’être tué, et qui lutte contre l’injustice et la violence sans porter atteinte à la vie ni à la dignité de son adversaire. Certes, face à la violence, l’action non-violente apparaît parfois impossible ou trop lente pour faire cesser des situations insupportables. La contre-violence, ou action violente pour mettre l’agresseur hors d’état de nuire, y compris en le tuant, a été utilisée massivement dans l’histoire. Elle est légitimée dans les théories de la légitime défense ou de la «guerre juste».

Dans les cas limites où la contre-violence semble nécessaire (le forcené qui tire sur les passants, les snippers qui bombardent Sarajevo, les terroristes de Daech ou de Boko Haram, etc.), les questions éthiques à se poser avant d’y avoir recours nous semblent être les suivantes:
— Dans telle réalité politique, dans telle situation de violence insupportable et de grande urgence, la non-violence, qui est la règle, apporte-t-elle une réponse opérationnelle?
— Si la pression et la contrainte non-violentes, ici et maintenant, paraissent impraticables ou inefficaces à court terme, une contre-violence, la plus limitée possible, va-t-elle diminuer ou risque-t-elle d’augmenter le malheur des hommes?
— Quelles en sont les conséquences à long terme?
— Que faut-il préparer pour éviter à l’avenir, dans une situation identique, l’usage de la contre-violence et lui substituer le plus souvent possible la non-violence ?

Une culture de la non-violence est le développement des savoirs, des mœurs, des manières de vivre, des institutions sociales, des échelles de valeurs, en vue de favoriser le recul de la violence individuelle et sociale et d’inscrire dans les pratiques d’un peuple la résolution non-violente des conflits.

Trois champs d’action

Dans une économie non-violente, les acteurs gèrent de façon la plus positive et créatrice possible leurs relations, leurs tensions et leurs conflits. Ces conflits sont nombreux, et ils sont le signe de la vie: entre le fournisseur et le responsable des achats; entre le prêteur et l’emprunteur; entre le commerçant et le consommateur; entre l’employeur et le salarié; dans la répartition des bénéfices entre les actionnaires, les salariés, l’entreprise et le client; entre les entreprises, les pays en concurrence sur les mêmes marchés, etc.

Le changement, pour être cohérent, efficace, durable, doit être mené dans trois champs à la fois: le champ personnel, le champ des organisations de vie et de travail, le champ politique national et mondial. Il est possible d’agir dans les trois domaines à la fois, avec des niveaux d’implication différents dans chacun d’eux, selon le charisme de chacun.

L’humanité sort-elle de la violence?

Les armes pour tuer sont de plus en plus anonymes, lâches et destructrices. Le XXe siècle a été celui de deux guerres mondiales et des génocides (Arménie, Shoah, Cambodge, Rwanda, etc.), celui où ont été inventées à la fois la bombe atomique et l’action non-violente. Le XXIe sera-t-il celui de la guerre des étoiles, ou celui du forgeron qui transforme son épée en charrue?

L’humanité, au cours des siècles, a aboli les sacrifices humains, les jeux de mort du cirque, la torture judiciaire, les exécutions publiques, l’esclavage, le duel, le massacre pour coloniser ou exploiter, le suffrage limité, etc. Elle continue d’abolir peu à peu les mutilations sexuelles rituelles, la torture, la dictature et la tyrannie, la peine de mort. L’humanité risque l’autodestruction si elle ne résout pas la crise des rapports entre les êtres humains, entre les sociétés et les cultures, entre les êtres humains et la nature.

Le plus grand danger est peut-être la violence intérieure: seuls les êtres humains ont entre eux le pouvoir décisif de se haïr. Toutes les formes de régulation politique que se sont données les communautés humaines, des tribus aux nations, des cités aux empires, ont pour point commun de traiter prioritairement la violence par l’exorcisation de la haine et de la violence intérieure sur l’étranger, le barbare, l’infidèle.

Si nous voulons vivre ensemble plus harmonieusement sur notre planète, la gouvernance mondiale doit être capable, pour traiter le problème de la barbarie inhérente à l’humanité, de s’appuyer sur les traditions qui se sont attaquées à ce problème, depuis les sagesses millénaires jusqu’à, plus récemment, la tradition démocratique.

Les forces, les intérêts, les conceptions divergents existent aussi, et ne pas transformer un adversaire en ennemi ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’adversaires. Construire des conflits féconds constitue une alternative à une violence omniprésente.

Malgré la douleur et les tâtonnements, avec des stagnations interminables et parfois des reculs tragiques, l’humanité avance lentement mais sûrement vers son accomplissement, c’est notre conviction. Dans cette longue marche, la non-violence, en tant que manière d’être avec son prochain et avec la nature, en tant que sagesse de vie et de pensée, mais aussi en tant que philosophie politique et stratégie collective d’action contre l’injustice, est une condition évidente, indispensable et urgente de l’humanisation du monde.

La résolution non-violente des conflits est une des clés d’un avenir humain pour le troisième millénaire, comme le développement durable, comme l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité, comme la priorité donnée par chacun à son intériorité, comme l’invention d’une nouvelle relation de l’homme au temps, au travail, à la science ■

*Étienne Godinot, président de l’Institut de recherche sur la Résolution non-violente des Conflits (IRNC — irnc.org)

1- www.jaijagat2020.org

Les différentes étapes d’une campagne d’action non-violente

• Prise de la décision d’agir
• Analyse de la situation
• Choix de l’objectif
• Choix de l’organisation
• Premières négociations
• Appel à l’opinion publique (défilé, marche, théâtre-tract, sit-in, heures de silence, enchaînement, grève de la faim limitée) • Envoi d’un ultimatum • Actions directes de non-coopération (renvoi de titres ou décorations, opération ville morte, grève, boycott, désobéissance civile, autoréduction des loyers, refus de l’impôt, grève de la faim), d’intervention (occupation, obstruction, usurpation civile)
• Programme constructif
• Résistance à la répression
• Négociations finales


L’action non-violente : un choix pragmatique

Paris, France, septembre 2005 sept heure du matin. La préfecture de police a commencé l’évacuation de l’immeuble du 21 rue du Maroc à grand renfort de forces de police, équipées de béliers. Cet immeuble n’abritait plus que 3 familles (dont 23 enfants) et 3 célibataires, tous en situation régulière.

Saltimbanque, poète et militant, Jean-Claude Amara, l’un des fondateurs des associations Droit Au Logement et Droits Devant! milite depuis de nombreuses années pour accompagner et défendre les sans droits. Il témoigne ici de ses luttes en faveur des plus démunis où la non-violence active s’est imposée comme un mode d’action qui a permis de gagner de précieux combats.

Pascale Pavard
Photo Diane Grimonet

Pourquoi se tourner vers l’action non-violente?

L’usage de la violence est une question de choix en fonction des luttes menées. Quand j’ai mis le doigt dans les luttes de sans-logis, sans-papiers, etc., j’ai vraiment réalisé dans ce contexte que l’action violente était une connerie sans nom. Je ne pouvais pas affronter un système à la capacité répressive extrêmement cimentée et m’embarquer avec des centaines de personnes excessivement précarisées dans un affrontement brutal avec ceux d’en face…

Comment en êtes-vous arrivés là?

À la création du DAL (Droit au logement) en 1990, le principe de lutte consistait à rassembler celles et ceux qui subissent des injustices (mal logement, la rue, les expulsions locatives, etc.) ou comment, à partir de détresses et de précarités individuelles, nous pouvions arriver à construire une force collective avec celles et ceux qui étaient « ravalés » aux marges de la citoyenneté. Le principe de non-violence que nous adoptons dans nos luttes depuis trente ans au DAL comme à Droits Devant! n’est pas une affaire philosophique. Il s’agit de pragmatisme et de réalisme politique. Nous nous heurtons au fait que celles et ceux avec qui nous nous battons vivent déjà dans une précarité importante même si l’agrégation collective permet à chacun au quotidien de relever la tête et de s’engager sur des actions que l’on peut qualifier de radicales. Opter pour des actions coup de poing avec des personnes déjà très fragilisées conduirait à les confronter à une violence qu’ils vivraient comme décuplée, tant d’un point de vue physique que psychologique, sans compter les risques accrus d’expulsion pour les sans-papiers.

Comment ces actions ont-elles été organisées concrètement?

Quand nous avons commencé à travailler avec ces personnes qui pour beaucoup se pensaient inéluctablement perdues face à une société répressive, stigmatisante et discriminatoire. Nous sommes rapidement partis sur des actions très radicales en occupant des dizaines d’immeubles vides appartenant à des banques, des compagnies d’assurance et de gros marchands de biens pour faire valoir le fait que, si nous étions dans l’illégalité en attaquant le sacro-saint droit de propriété, nous étions par contre totalement légitimes. Comment était-il possible de garder des bâtiments entièrement vides dans un but spéculatif pendant que des milliers et des milliers de personnes vivaient dans des conditions épouvantables? Nous avons dès lors cherché à utiliser la loi de réquisition existante (ordonnance n°2394 du 11 octobre 1945) qui n’était pas appliquée. Le principe consistait donc à nous mettre dans l’illégalité pour faire valoir notre légitimité et en même temps pour faire respecter la légalité.

Quelles sont les conséquences quand on s’engage dans ces combats en profondeur?


Nous avons été soumis — et cela confirme aujourd’hui — à une répression tous azimuts. Les lacrymogènes, les matraquages, les gardes-à-vue, on connait ça par cœur… Nous avons énormément discuté à l’époque avec les principaux intéressés, c’est-à-dire les mal-logés et les sans-logis. La réponse a été unanime à chaque fois : «Nous, on ne veut pas d’affrontement avec les forces de police, parce que de toute façon on n’est pas assez forts contre eux». Il a donc été convenu avec les uns et les autres qu’on adopterait le principe de non-violence -active, soyons clair- pour faire valoir nos droits. Il est très difficile de s’y tenir quand on mène ces luttes. C’est pourtant essentiel pour ne pas remettre en cause la quintessence d’un mouvement existant depuis des années. Je peux cependant parfaitement comprendre qu’on puisse passer à une résistance active et de confrontation dans d’autres contextes. Quand on s’en prend plein la gueule, parfois ça démange de répondre par la violence, même si les chances de succès sont nulles dans un rapport de force complètement disproportionné. Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement avec le peuple palestinien…

Qu’entends-tu par non-violence active?

Beaucoup pensent que non-violence équivaut à passivité. Non, dans la mesure où quand nous opérons une action non-violente d’occupation en gelant le droit de propriété, il s’agit bien d’une action active radicale. Quand le système répressif intervient pour sortir les gens qui occupent, on pourrait monter des barricades, construire un Fort Chabrol et tenir le siège le plus longtemps possible. Nous avons plutôt choisi de laisser les forces de l’ordre « faire leur boulot ». Nous avons fait le nôtre avec ces actions qui ont mis au jour la légitimité du mouvement. Les exemples de « retour de manivelle » sont nombreux… Face à des répressions aveugles où nous nous sommes fait tabasser, nous avons eu un soutien fabuleux de l’opinion publique, scandalisée par la violence utilisée contre des personnes désarmées demandant uniquement qu’un de leurs droits fondamentaux, le droit au logement, soit respecté.

Un exemple?

Il n’en manque pas… En 1993, nous occupons un immense immeuble vide depuis trois ans, un ancien orphelinat dans le 14e arrondissement appartenant à la ville de Paris. Vingt-cinq familles auparavant à la rue ou vivant dans des conditions de logement indécentes s’y installent. La ville nous assigne en justice afin que nous soyons expulsés. Le tribunal décide de nous accorder un délai. Nous faisons appel et entre les deux décisions, il se passe évidemment plusieurs semaines et le maire Jean Tibéri nous a déjà fait expulser. Nous nous remobilisons pour revenir sur les lieux et l’appel, quelque temps après, nous donne finalement raison en nous accordant six mois de délai. Nous ne pouvons plus alors en bénéficier puisque nous avions été expulsés. Avec l’Abbé Pierre, Jacquart et d’autres, nous étions plusieurs centaines à retourner sur place pour réinvestir les lieux. Entre temps et pour éviter toute nouvelle occupation, Tibéri et sa mafia avaient entièrement et délibérément fait détruire l’intérieur de l’immeuble, cages d’escalier, plomberie, etc. allant ainsi à l’encontre d’une décision de justice. Sauf que là, face à la très large couverture médiatique, la mairie de Paris a été obligée de reloger à ses frais en hôtel toutes les familles, jusqu’à les accueillir définitivement quelques mois après dans un habitat social décent avec un loyer adapté à leurs ressources.

Pour revenir à l’expulsion, des membres du RAID étaient même installés sur les toits pendant l’opération ! Face à cette violence policière et institutionnelle, si nous avions alors résisté physiquement, il est certain que nous n’aurions pas eu un tel écho auprès de l’opinion publique. La Cour de Cassation nous a donné raison. Elle est même allée plus loin en faisant valoir la notion de « squat par nécessité », qui sera par la suite reprise par de nombreux avocats lors de procédures. Quelle victoire fondamentale pour nous!



As-tu le sentiment que face à ces stratégies actives mises en place par différentes organisations depuis plusieurs années, l’État tente d’autres tactiques?

Non, justement. Autre exemple type, l’église Saint-Bernard. Nous sommes trois cents à l’intérieur, nous nous enfermons dedans et les voilà qui débarquent le 23 août 1996 avec la hache pour détruire la porte. Résultat, ça leur est revenu en pleine figure avec Juppé qui perd les élections peu après et nous qui obtenons ensuite la circulaire Chevènement en juin 1997 permettant ainsi la régularisation de dizaines de milliers de sans-papiers!

L’État a les moyens quand il s’agit de s’opposer avec force à la force. Par contre, il n’a pas souvent la réponse face à la non-violence active. Je me rappelle aussi la rue du Dragon quand nous avons occupé cet immense squat de douze mille mètres carrés en plein coeur de St-Germain-des-Prés, nous nous sommes fait gravement massacrer, mais tant de gens étaient là pour nous…

De quelle manière?

Je pense à de nombreux amis artistes qui nous ont soutenus. Il faut que la non-violence soit aussi accompagnée de symboles. Je viens du théâtre de rue, de cet univers où la créativité et l’imagination s’expriment librement. Plusieurs copains saltimbanques sont venus pendant que les forces de l’ordre entouraient l’immeuble. Quelle image de voir tous ces échassiers surplombant les CRS, tous ces clowns qui jouaient avec eux sur des lignes imaginaires et les camarades de la compagnie Jolie Môme qui chantaient!

Il ne faut pas hésiter à inventer en permanence. On peut dire que la non-violence active sur la durée peut être une utopie concrète et qu’elle vit en se nourrissant d’imaginaire. Avec la BAC (Brigade Activiste des Clowns), nous avons fait des choses géniales. Je me souviens de ce char en carton qui a réussi à s’infiltrer pour le 14 juillet entre ces immenses chars militaires et a défilé avec eux. La non-violence doit être un moyen de désarçonner a répression. Un flic aura toujours beaucoup plus de difficultés à déployer sans complexes sa force face à un nez rouge ou… à une chanson ■


✍️Disclaimer et droit d’auteur 🎪
j’ai acquis le magasine, et je vous partage ce super dossier parce que je le trouve super ce super dossier, et que j’ai trop envi de le partager. Je n’ai pas demander au monsieur-madame qui l’a fait de son super travail. Sans doute c’est pô légale de la loi de la vie du partage de la connaissance.
Si je suis trop méchant
d’avoir fait ça, envoyez moi un mail ici


Si vous voulez nous remercier, vous pouvez aussi 💋
.
⭐️ Monsieur-madame 🌈 qui a fait ce super dossier ☀️ , nous nous reposons sur toi (dossier, reposer <= humour caustique) et écrit nous aussi, 🦄 nous t’enverrons un GROS cadeau que tu garderas dans ton cœur ému de ta vie entière 🌷💐 🌹 🌺 🌸 🌼 🌻🤪.

Regardez, vous pouvez aller ici pour acheter le tout en papier 😻
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Bisous, espoir et pâte à pain(2).

(2) si tu es allergique au gluten, <Bisous, espoir et pâte d’amandes>, ça marche aussi., ou pâte d’amendes, comme tu veux.

(3) aucun zanimaux n’a été blessés dans cette article