CORONA PROPAGANDA | À UBUBU. 31/X (Claire Cros)

Claire Cros

« Ububu est un clown. On ne peut pas lui écrire directement mais uniquement lui envoyer un message, comme ça, dans l’air. Il est anonyme et œuvre le plus étrangement pour notre époque, en menant des actions que seul un vrai clown peut mener, avec des sourires que seul un vrai clown peut avoir, et en faisant des pirouettes que seul un vrai clown peut faire. Ce qui, à notre époque, est un prodige.*

Ububu est un des êtres, rares, d’accord, mais quand même, qui prouvent que je ne suis pas un monstre sans cœur. Je ne crois pas qu’ils seraient quelque part dans mes parages, sinon : trop fragiles, trop purs, trop sincères, trop gais, trop malins, trop colorés. Quand Ububu rentre de son travail de clown, il décrit sa journée. On dirait, à chaque fois, qu’il sort un bouquet de fleurs de nulle part. Les mots sont tous frais et brillants et plein de couleurs, ils oscillent encore du mouvement de leur apparition alors qu’ils sont dits, et c’est tout le charme de ses contes, ils frémissent encore sur place, tout heureux de leur bonne histoire, ils restent vivants à jamais alors qu’ils sont faits et viennent de l’éphémère. Et à chaque fois, c’est vrai, c’est une très bonne histoire. Pleine de rebondissements, très drôle, à éclater de rire, malicieuse et d’une vérité sans maquillage, elle.

Ububu est un charmeur amusé et coquin, il a une double vie, comme tous les clowns, je suis bien placée pour le savoir. Il doit savoir jongler sans se faire voir, et sait bien qu’il est unique et uniquement dans chacune de ses vies. Heureux ceux qui lui permettent ces vies-là, j’espère qu’ils le savent, c’est difficile de leur rendre tout le temps.

Ububu est d’une race rarissime, il reste peu d’exemplaires dans la vie réelle, la majorité est pour l’instant obligée de survivre dans les fictions, les romans et la poésie jusqu’au milieu du XXe siècle (et mes textes, dont Blanc, que Ububu lit comme je l’ai écrit, autre prodige), les dessins d’enfants évidemment, et des mangas, les Ghibli, comme Totoro. Pendant le confinement, les Ububus font le plein de dessins enfantins, d’ailleurs, c’est une vraie énergie, pour eux, c’est connu. Je crois même que les Ububus peuvent capter les meilleurs rires des petits auxquels le confinement est un grand moment, et qu’ils entendent les rires absents, aussi.
Le monde n’est jamais prêt à un Ububu ni des Ububus. Selon comme il va, à la vue d’un Ububu, il sourira, il retrouvera en lui un petit paysage qu’il sait nécessaire à sa survie, ou il aura très peur, et peut devenir agressif, parce que, justement, il ne retrouvera plus cet horizon coloré et simple et ne sait plus à quoi tient sa survie. Les Ububus savent que les temps sont durs, pour les petits clowns, qu’ils risquent beaucoup, qu’on va les poursuivre et les malmener, les enfermer, les interroger, les cerner de policiers. Alors ils vont par petits groupes, c’est plus prudent, et des anges gardiens les veillent et les préviennent quand il faut fuir. Il n’y a aucune honte à fuir quand on est un clown, mais ça en donne beaucoup au monde, par contre, et tant mieux, il a ainsi le temps de réfléchir plus longuement et plus amèrement à pourquoi il n’a pas souri. Il ne trouvera pas. Pas en ce moment. Il ne sait plus rire du tout. Du tout.

Un Ububu apparaît quand le monde en est là : à ne plus savoir rire du tout. C’est prendre un risque fou de continuer à se promener dans le monde, mais un Ububu sait son rôle, il l’a bien appris, c’est une chose très sérieuse, d’ailleurs. Très sérieuse.

Et inestimable.

À plus tard ? »